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L'art des jardins

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L'art des jardins  Empty L'art des jardins

مُساهمة من طرف Admin الأربعاء نوفمبر 23, 2011 10:02 pm

JARDINS (ART DES)
tymologiquement, un jardin est un enclos, un endroit réservé par l’homme, où la nature (les plantes, les eaux, les animaux) est disposée de façon à servir au plaisir de l’homme. La nature dans sa totalité, et non, au moins en droit, une partie d’elle-même: le jardin a l’ambition d’être une image du monde; il fait servir à ses fins la lumière du ciel, la fraîcheur de l’eau, la fécondité de la terre, les végétaux et les hôtes des forêts et des campagnes. Il est une mise en ordre du monde. Un jardin commence dès l’instant où une volonté humaine impose une fin immédiatement sensible aux «objets naturels», c’est-à-dire à ce qui naît, croît et meurt selon les lois de la nature. Une statue emprunte à celle-ci sa matière et sa forme (le marbre ou le bois, et aussi le modèle qu’elle représente, animal, homme ou plante), elle n’en possède pas la vie. La matière du jardin, au contraire, est libre, et sa spontanéité échappe aux lois de l’homme.
Pour cette raison, l’on peut dire que le jardin est une création opérée par l’homme à sa mesure. Il n’existe pas de jardin spontané. Et cela entraîne une sorte de contradiction entre une matière libre et des formes asservies. L’art des jardins sera une conciliation entre ces deux termes, et ses styles seront le résultat des solutions diverses apportées à cette conciliation. Tantôt la matière l’emportera sur la discipline formelle – on approchera alors du paysage spontané, sans l’atteindre jamais –, tantôt la discipline limitera étroitement les forces naturelles, le jardin tendra vers la stabilité quasi minérale de l’architecture, et l’on aura le paysage immobile des ifs taillés, des charmilles, des bassins géométriques.
Ces deux pôles de l’art des jardins, qui sont illustrés par l’opposition entre deux styles – le jardin dit (assez improprement) «à la française» et le jardin dit (non moins improprement) «à l’anglaise» –, se rencontrent, à peu de distance l’un de l’autre, à Versailles, de part et d’autre du Grand Canal, du Tapis vert aux Trianons. Ces deux styles partagent à peu près toute l’histoire des jardins, depuis ses origines les plus lointaines jusqu’à l’époque contemporaine.
1. L'art des jardins avant Rome
L’existence des jardins suppose celle d’une agriculture déjà maîtresse de ses techniques, des hommes capables d’imposer à la nature une fécondité qui ne lui est pas toujours donnée. Il semble que le «jardin» soit né en Mésopotamie, plus de trois mille ans avant notre ère, lorsque l’acclimatation du palmier permit de ménager des zones de végétation. Là, il devenait possible de limiter l’évaporation, de maintenir une humidité à peu près constante, et, par conséquent, d’assurer la survie de plantes fragiles. Conformément à l’un des paradoxes constants de l’activité humaine, ces conquêtes techniques ne servirent pas d’abord, ni surtout, à la production de plantes destinées à la nourriture des hommes, mais au «luxe» et au plaisir, aux cultures gratuites des fleurs et des arbustes d’ornement. Mais ces cultures s’adressent moins aux humains qu’aux divinités. Le jardin, en ses origines, est inséparable du sacré. Or, le sacré implique le «gratuit», la fête, et les jardins sont et restent des enclos de fête.
Le nom de Babylone a toujours évoqué les «jardins suspendus», c’est-à-dire établis sur des terrasses, selon une technique que les archéologues ont su retrouver. Des plans superposés constituent autant de promenades, dont chacune est ombragée de palmiers; le sol, rapporté, est formé de terre fertile, isolé par une feuille de plomb de la maçonnerie qui soutient la terrasse. L’eau, montée jusqu’à la terrasse supérieure par des chaînes sans fin, provenait de puits, toujours alimentés par la nappe issue du fleuve. Elle redescendait ensuite soit en s’infiltrant à travers le sol et en gagnant des conduites de drainage, soit en véritables ruisseaux et cascatelles, qui étaient l’un des charmes de ces cultures véritablement miraculeuses – ce que doit toujours être, et apparaître, un jardin, c’est-à-dire une nature merveilleusement féconde et belle –, une nature créée grâce au travail des hommes et à la bénédiction des dieux. Les jardins de Babylone sont en rapports évidents avec le culte de la déesse Ishtar, la Vénus babylonienne, divinité de l’Amour et de la Vie.
Au cours du IIe millénaire avant notre ère, l’ةgypte, de son côté, découvrit les jardins. Ces jardins, comme toute l’agriculture de ce pays, peuvent être considérés comme un «don du Nil». Il semble que les premiers jardins égyptiens furent des lieux de délices, où la culture des fruits l’emporta longtemps sur celle des plantes destinées à d’autres usages. Les jardins d’ةgypte étaient d’abord des vergers et des vignes, dont les lignes perpendiculaires dessinaient un damier dans les mailles duquel se plaçaient tout naturellement des figuiers, des palmiers et des sycomores, dont l’ombre était fort appréciée. Pour entretenir cette végétation, en ce pays de plaine, il était nécessaire de construire un réseau de canaux qui convergeaient vers un bassin central, où vivaient librement, côte à côte, poissons, oiseaux aquatiques et plantes comme le papyrus, le lotus, les nénuphars, toute la faune et la flore que l’on rencontrait dans la campagne égyptienne, aux endroits où l’eau se rassemblait, une fois le Nil rentré dans son lit. Ainsi, de tels jardins réunissaient, et résumaient, en un espace enclos de murs, tous les agréments que la nature dispersait dans le reste du pays. Ces jardins sont des lieux où il fait bon vivre, réaliser pleinement sa «vocation humaine», où le bonheur est fait de reconnaissance aux dieux.
On peut considérer que, déjà, deux styles de jardins sont nés: le jardin en terrasses et le jardin de plaine – deux styles destinés à une grande fortune.
Le troisième pays des jardins est la Perse: les nombreuses plantes spontanées sur les plaines d’Anatolie avaient depuis longtemps séduit les rois de Babylone, qui s’étaient efforcés de les acclimater chez eux. Au temps où les rois de Perse dominaient l’Asie, ils avaient créé un art des jardins extrêmement original, qui ne semble rien devoir à celui de Babylone ni d’ةgypte. Ces jardins, appelés paradis (le mot est perse), sont des parcs de chasse, qui tiennent de la forêt et du verger. Xénophon donne la description d’un paradis établi par Cyrus à Sardes, en Asie Mineure, au Ve siècle. Il consistait en grandes futaies, dont les arbres étaient soigneusement alignés; à leur ombre s’étendait une pelouse, comme une prairie naturelle, entretenue par une irrigation abondante. En certains endroits s’ouvraient des clairières où étaient groupés des arbres fruitiers. Un peu partout des pavillons, tantôt sur le sol, tantôt perchés dans les arbres, pour que les chasseurs puissent y observer en sécurité les allées et venues des fauves et du gibier qui était lâché dans le parc. De là, on tirait aussi à l’arc sur les animaux.
Dans les jardins perses, l’eau n’était pas absente. Le plus souvent, semble-t-il, elle était distribuée par deux grands canaux rectangulaires, qui marquaient les axes de l’enclos, et se rencontraient au centre en un vaste bassin où ils paraissaient diverger d’une fontaine à quatre bouches, figurant la source des quatre fleuves primordiaux du «paradis terrestre», berceau de la première vie humaine.
Ces paradis perses exercèrent un grand attrait sur l’imagination des Grecs lorsqu’ils les connurent et, surtout, lorsqu’ils disposèrent des richesses amassées par les Perses après la conquête d’Alexandre. Avant cette époque (seconde moitié du IVe siècle av. J.-C.), les cités grecques ne possédaient guère de jardins: quelques bois sacrés (comme celui du héros Académos, à Athènes), des plantations aménagées autour des temples des divinités de la Fécondité, mais pas ce jardin de plaisance au service des particuliers. C’est seulement dans les pays marginaux de l’hellénisme, en Sicile et en Grande-Grèce, puis en Syrie (après la conquête d’Alexandre) et en Asie Mineure que s’installe un art des jardins digne de ce nom. C’est que l’intellectualisme traditionnel de l’hellénisme classique s’efface devant des religions plus mystiques: la végétation est le symbole des puissances qui, dans la nature, assurent l’immortalité. Le dieu des Jardins devient Priape, que l’on adore à Lampsaque, sur l’Hellespont, et qui a pour attribut un membre viril dressé. Dans le jardin, les mortels communient avec l’immortalité de la vie végétale.
2. Rome et les jardins
L’Empire de Rome fondit en un art nouveau du jardin ces différentes tendances, ces éléments épars dans le monde antique. Cet art porte, en latin, le nom d’ars topiaria , que l’on peut traduire par «art du paysage»; le jardin de plaisance, à Rome, est en effet appelé à créer des lieux privilégiés, des compositions formées d’éléments architecturaux et naturels, destinés au plaisir des hommes. L’ars topiaria naquit dans la seconde moitié du IIe siècle avant J.-C., après les contacts de Rome avec l’Asie hellénistique. L’exemple des paradis perses fut décisif (il y eut, dès l’origine, à Rome, des parcs de chasse), mais les Romains ne se bornèrent pas à les copier. Ils adoptèrent aussi dans leurs parcs de plaisance des édifices qui, en Grèce, accompagnaient les jardins sacrés, par exemple les « palestres » (où s’exerçaient les éphèbes), ou les portiques de promenade construits le long des ensembles funéraires (comme à l’académie d’Athènes) ou des lieux de culte.
Dès le début du Ier siècle avant J.-C., on voit ainsi, à Pompéi, une véritable villa de plaisance, comme la maison du Faune, développer deux promenoirs péristyles (entourés entièrement de colonnes), sur lesquels s’ouvre un grand salon. Le jardin est, d’ores et déjà, destiné à servir de cadre à la vie quotidienne. ہ l’imitation de maisons comme celle du Faune, les architectes imaginent de prolonger la demeure traditionnelle par des «péristyles» plantés de fleurs et d’arbustes, ou, si leurs dimensions le permettent, d’arbres fruitiers, de cyprès, de platanes, etc. Ainsi naît la maison campanienne, que les fouilles de Pompéi ont rendue familière, et dont les modèles plus vastes sont en cours de dégagement sur les hauteurs de Stabies, à quelque distance de la ville enfouie. Peu à peu apparaît un type nouveau d’architecture, où le jardin a sa place, qui est essentielle: les pièces d’habitation qui, dans la maison grecque, donnaient sur des cours dallées, sont ici disposées de telle sorte que chacune ait la vue d’un jardin, petit ou grand, tantôt réduit à un seul arbre, tantôt composant tout un bocage. Les fenêtres s’ouvrent sur un paysage spécialement aménagé ou, à défaut, le remplacent par un tableau peint, une fresque de jardin, qui doit donner l’illusion d’une présence de la nature.
ہ partir du Ier siècle avant J.-C., les collines autour de Rome se couvrent de villas composées de grands parcs à l’intérieur desquels sont disséminés les bâtiments, dont la façade est le plus souvent formée d’une colonnade qui fournit une transition entre le jardin et la demeure. ہ Tusculum (Frascati), à Tibur (Tivoli), les grands seigneurs possèdent ainsi des résidences où ils passent les mois chauds de l’année et les fêtes. Ces villas sont le lieu du loisir, c’est-à-dire des conversations entre amis et, aussi, d’échanges intellectuels. Dans de tels parcs, Cicéron a situé la scène de ses dialogues philosophiques. Plus tard, lorsque les territoires de l’Empire tendront à se séparer les uns des autres, les riches propriétaires, en Gaule, en Germanie, en Afrique, en Asie, vivront de plus en plus dans leurs maisons domaniales, et la tradition du jardin conservera le souvenir de la culture païenne. Et cela d’autant plus que les paysages aménagés dans les jardins s’inspirent des images popularisées par la poésie classique: rocailles où l’on a mis des statues de faunes, de bacchantes, de nymphes; sources sacrées, autels élevés aux dieux des bois et des champs, parfois de véritables mises en scène retraçant une légende pittoresque, comme l’histoire d’Actéon dévoré par ses chiens, ou la chasse de Méléagre. Cette présence des dieux et des héros sera caractéristique de la tradition romaine du jardin. Elle réapparaîtra plus tard lorsque, à partir de la Renaissance, cette tradition sera renouée.
3. Jardins d’Orient
Dans la moitié orientale de l’Empire romain, l’art des jardins se trouvait au contact de ses lointaines origines, et il n’est pas étonnant que Byzance ait connu des jardins magnifiques, dans lesquels s’alliait le goût asiatique de la fécondité et des arbres fruitiers, ainsi que de l’eau vive, à une recherche décorative utilisant les marbres de couleur, la mosaïque et les parterres de fleurs. On aime aussi, alors, mettre dans les jardins, d’où disparaissent les statues, des automates de toute sorte, qui peuplent bizarrement ce monde enchanté. Ces automates étaient des figures de bois ou de métal animées par des jeux d’eau; ils appliquaient des découvertes mécaniques faites par les savants d’Alexandrie, quelques siècles plus tôt.
C’est à partir du jardin byzantin et syrien que se constitua l’art du jardin dit «arabe», parce qu’il fut diffusé dans l’Orient méditerranéen, le Maghreb et jusqu’en Espagne, par la conquête arabe. Ce jardin recherche la couleur, obtenue grâce à l’acclimatation de plantes originaires de l’un ou l’autre canton du vaste territoire arabisé, et aussi par la constitution des « arabesques » de verdure, qui reproduisent, sur le sol, le tracé des lettres qui se lisent sur les murs des palais. Une particularité de la culture des plantes sous le climat des pays les plus secs donne naissance à l’un des caractères les plus curieux de ce jardin arabe: l’habitude de ménager des parterres en contrebas, où l’on peut amener l’eau d’irrigation, permet de recouvrir sans inconvénient les allées et les parties non cultivées de dallages en faïence de couleurs vives, si bien que les plantes semblent jaillir d’une terre invisible, parmi les jets d’eau qui animent des bassins aux formes géométriques. Dans ces jardins merveilleux se retrouvent les automates chers à Byzance. Ils flattent le goût, alors fort répandu, de la sorcellerie et des enchantements. Il en allait ainsi des jardins du Caire et de ceux de Bagdad vers le IXe siècle de notre ère. ہ Bagdad existait alors un petit jardin orné d’un arbre d’argent, où étaient perchés des oiseaux qui étaient d’argent eux aussi, et qui sifflaient.
Le plus souvent, ces jardins «arabes» sont enclos de hauts murs; ils forment, comme le jardin romain, partie intégrante de la demeure, à laquelle les relie un «cloître» fait d’arcs outrepassés.
4. Le Moyen آge occidental
C’est autour des abbayes qu’apparaissent, vers le Xe siècle, les premiers jardins d’Occident, une fois oubliée la tradition romaine des grandes villas. Ils servent de potager, et l’on y cultive aussi les simples destinés à l’infirmerie et à l’hospice. Peu à peu, les cloîtres s’ornent de plantes diverses grimpant, par exemple, autour de la margelle du puits central, et les sculptures végétales qui décorent colonnes et chapiteaux des cloîtres romans conservent peut-être le souvenir d’une végétation réelle.
Dans les châteaux et les demeures seigneuriales du XIVe et du XVe siècle français, le jardin n’est guère qu’une cour étroite, séparée de la campagne par un mur au-dessus duquel passe le regard. Cette cour est le plus souvent un «préau», c’est-à-dire une étendue herbue autour de laquelle ont été plantées des herbes odorantes (souvent médicinales), qui assainissent l’air. Souvent aussi, ce préau est couvert d’une treille qui donne de l’ombre et des fruits. Il est le lieu où, par excellence, se plaisent les dames.
Lorsque la disposition du château le permet, le préau est continué, au-delà de son mur, par le verger (nom générique donné aux jardins de plaisance), où la nature est moins contrainte. Là se dressent de grands arbres, passent des ruisseaux, vivent des animaux, en liberté ou en semi-captivité sous des filets peu visibles. Selon la fantaisie, on y construit des pavillons en lattis de bois, où grimpent des plantes – comme le chèvrefeuille et l’églantier, chantés par les poètes de ce temps.
Avec les croisades, quelques seigneurs, au retour de leur aventure méditerranéenne, veulent imiter les jardins qu’ils ont vus là-bas. ہ cet égard, le parc le plus remarquable est celui que le comte d’Artois Robert II établit à Hesdin, dans les dernières années du XIIIe siècle. Il y introduisit les «enchantements» des jardins orientaux, notamment les automates, qui devaient connaître en France une fortune durable.
Il est probable que les jardins français subirent, à partir du XIVe siècle, l’influence des jardins d’Italie et de Sicile, qui se devine dans les descriptions du Roman de la Rose . Mais il existait aussi une tradition nationale, qui remontait au temps des romans «celtiques», popularisés par Chrestien de Troyes, deux siècles plus tôt. Ce sont les jardins des enchanteurs; dissimulés derrière des haies impénétrables, ils sont le lieu des plus singuliers sortilèges: gentilshommes changés en animaux, ou en arbres, belles prisonnières, nacelles qui naviguent d’elles-mêmes sur les étangs et les pièces d’eau. Et ce sera là une des origines du jardin «français».
C’est en Italie que le début de la Renaissance va transformer l’art des jardins. Les thèmes médiévaux (pelouses, treilles, charmilles, fontaines ornées de statues) n’ont pas disparu, mais ils sont utilisés dans des ensembles plus vastes, disséminés sur des terrasses aux larges perspectives, comme on se plaît à en aménager alors sur les collines qui bordent l’Arno, dans la région de Florence. Des statues imitées de l’antique remplacent celles des allégories morales, chères au siècle précédent. Mais surtout, dans ce jardin italien de la Renaissance s’impose, pour la première fois, la règle du nombre, la division mathématique de l’espace plan. On peut considérer comme le «manifeste» de ce style nouveau le Discours du songe de Poliphile , livre célèbre publié en 1499 par Francesco Colonna. Là est décrit un jardin consacré à Vénus, dans l’île de Cythère, et ce jardin est entièrement, et jusque dans le détail de ses plantations, dominé par la géométrie. Et, au milieu du parc, qui est circulaire, des buis taillés figuraient des géants casqués dont chaque main supportait une tour, également en buis.
5. Le jardin classique
Le premier jardin vraiment «classique», c’est-à-dire celui dont les lignes sont commandées par des rapports géométriques avec celles de la demeure dont il constitue le cadre et la continuation, est la cour du Belvédère, dans le palais du Vatican. Sa conception est de l’architecte Bramante, dont l’art était imprégné par les souvenirs et la présence autour de lui des ruines antiques qui parsemaient Rome. Le projet de Bramante (qui ne fut réalisé qu’en partie) comprenait trois terrasses, dont la plus élevée s’étendait devant une façade formée d’un portique, creusée en son milieu par une abside où s’abritait une loggia. La terrasse médiane devait, dans le projet primitif, être occupée par deux grandes pelouses entourées d’un treillis de roseaux; la terrasse inférieure, fort allongée, servait de carrière pour les carrousels. Les trois plans étaient reliés par des escaliers monumentaux, appliqués transversalement et non selon l’axe principal, et aussi par des pentes latérales. Des statues, généralement des antiques, mais aussi des créations «modernes», ornaient les grottes et les nymphées ménagés dans les murs de soutènement. Ce jardin, véritablement architectural, était destiné à relier deux palais, c’est-à-dire à structurer géométriquement un espace à ciel ouvert.
Non moins célèbre, et aussi importante comme jalon, la villa d’Este, élevée quelques années plus tard (à partir de 1544) par l’architecte Pirro Ligorio pour le cardinal Hippolyte d’Este à Tivoli. Les difficultés imposées par le terrain obligèrent à ménager non plus trois mais cinq terrasses, dont l’ensemble donne l’impression d’une seule façade, répartie sur cinq «ordres» superposés. Il est presque possible de donner une idée fidèle de la villa d’Este sans mentionner son décor végétal: les jeux d’eau, placés à l’extrémité des terrasses, ou étirés le long des axes transversaux comme des buffets d’orgue, les escaliers, les grottes, et, sur le plan inférieur, les grands bassins immobiles pourraient se passer des cyprès centenaires, des chênes, des bosquets qui revêtent les pentes. Dans le parc se trouvaient des automates, des oiseaux chanteurs et animés.
Cet art du jardin classique, qui naît en Italie, sera acclimaté en France. ہ vrai dire, les châteaux royaux qu’édifia la Renaissance sur les rives de la Loire eurent des jardins qui ne devaient rien à ceux de Florence ni de Rome. ہ Blois, par exemple, c’est la tradition des préaux de l’époque antérieure qui survit, mais ils se multiplient en un grand nombre de parterres de broderie. L’impression générale est celle de tapisseries qui auraient été tendues autour du palais. La structure géométrique s’introduit selon une autre voie que dans les jardins italiens, où elle est inséparable du plan en terrasses. L’un des caractères originaux du style français est aussi l’emploi des miroirs d’eau qui, tantôt sont mis à la place de l’un des parterres de broderie, un des rectangles en quoi se répartit l’aire totale du jardin, et tantôt servent d’axe à celle-ci, ou la bordent.
Le premier «jardin à la française» qui mérite ce nom est celui que le surintendant des Finances, Nicolas Fouquet, fit établir autour de son château de Vaux-le-Vicomte (1656-1661). L’architecte est Louis Le Vau ; il collabore avec un jeune dessinateur, André Le Nôtre, qui deviendra le plus grand «jardinier» de son siècle. Le style qu’ils inventent, ensemble, est une synthèse des éléments français et italiens. Il y a des terrasses et des plans conjoints, comme en Italie, mais les plans sont immenses, la dénivellation entre eux faible, et la perspective issue du château se prolonge par un canal, avant de culminer sur une lointaine statue d’Hercule. L’ensemble donne l’impression d’une clairière, enserrée de toutes parts, mais à distance respectueuse, par un mur de frondaisons. Partout, au moment de la création, il y avait de l’eau qui apportait le mouvement et la vie; comme sur l’allée des Cent-Fontaines à la villa d’Este, des jets d’eau innombrables jaillissent le long de l’allée centrale, formant «une balustrade de cristal» (Mme de Scudéry). Ce jardin, ravissement pour les yeux, était, comme l’était aussi la villa d’Este, le symbole du triomphe de l’Esprit sur la Nature, la scène immense d’un théâtre où se jouaient les allégories.
Le parc de Vaux-le-Vicomte servit à Le Nôtre d’exercice pour Versailles, qui reste l’exemple le plus achevé du style «français»: un immense opéra de verdure, de marbre et de bronze, animé par les eaux. La mythologie triomphe, comme jadis dans le jardin romain. Dans le Versailles de Louis XIV existaient aussi des automates, aujourd’hui disparus: un arbre de bronze aux feuilles de fer, d’où s’échappaient des fontaines; deux buffets de marbre semblaient offrir au visiteur des verres, des carafes, qui n’étaient que des jets d’eau de formes imprévues. Mais ces bizarreries, héritées, à travers les âges, de Byzance, voire de Babylone, ne comptent guère à côté de l’architecture du jardin, conçu comme une merveilleuse clairière dans une forêt touffue. Il passe, dans ce style, le souvenir des grands parcs de chasse, des chevauchées qui rabattaient le cerf vers le château, des étangs où l’animal poursuivi cherchait un refuge inutile. De l’خle-de-France, qui en présente de nombreux exemples, ce style a essaimé dans l’Europe entière, de la Suède à l’Autriche, de l’Angleterre ou de l’Espagne à la Bavière. Un parc de l’époque classique est toujours à quelque degré un lieu d’enchantement, où l’art remplace la nature, où l’emprise ingénieuse de l’homme impose sa loi, mais où demeure aussi un sentiment profond de la vie mystérieuse et libre des forêts. Il y avait à Versailles une ménagerie, et l’on a vu comment la «clairière» de Vaux-le-Vicomte était enfermée par les bois.
6. Le jardin pittoresque
Le style français, en des mains maladroites, sombra dans le maniérisme. L’esprit de géométrie inspira de recourir, trop souvent, aux tailles artificielles. Cette mode se répandit, en particulier, dans les châteaux d’Angleterre et aux Pays-Bas. Elle remontait, en fait, à une tradition romaine, et pratiquée aussi dans les parcs italiens où l’architecture l’emportait sur le décor floral, généralement fragile sous un climat qui comporte de longues périodes sèches et chaudes.
En France, Jean-Jacques Rousseau se fit l’avocat du «jardin à l’anglaise», quelque vingt années après que la mode s’en fut répandue en Angleterre. Il écrivait dans La Nouvelle Héloïse que quiconque «n’aime pas à passer les beaux jours dans un lieu si simple n’a pas le goût pur ni l’âme saine». La pratique française qui s’instaure alors consiste à conserver les grandes lignes, architecturées, des jardins du siècle précédent, mais à insérer dans leurs mailles des compositions de paysage, des «bosquets» fermés sur eux-mêmes, comme les Bains d’Apollon, refaits en 1770 par Hubert Robert, autour d’un lac à Versailles. Les intendants multiplient, dans les villes provinciales qui connaissent alors un grand essor, des promenades comme celle de la Fontaine à Nîmes, ou la promenade du Peyrou, à Montpellier. De même, dans toute l’Europe se produit une évolution parallèle, et le romantisme littéraire fut précédé par celui des jardins, à qui il doit beaucoup; les cascades, lacs, arbres foudroyés, métairies désertes et «retraites sauvages» des poètes de ce temps sont autant de thèmes de jardin, qui n’accèdent à la dignité littéraire que pour avoir servi aux décorateurs de jardins.
7. Le jardin anglais
L’Angleterre est sans doute le pays d’Europe où l’art du jardin a été le plus assidûment pratiqué et le plus âprement discuté. Notamment au XVIIIe siècle, où l’expression «jardin anglais» prit une signification particulière, désignant un type de parc aux traits distinctifs, produit spécifique d’une nation qui venait d’atteindre, en 1688, sa majorité politique: car la relation est plus étroite qu’on ne le croit d’ordinaire entre le jardin et la cité.
Sans doute les jardins anglais s’étaient-ils, aux XVIe et XVIIe siècles, ressentis de la vogue italienne, puis française: précisément dans la mesure où l’institution monarchique, rétablie sous sa forme absolue, dénotait de nouveau la même vision du monde que sur le continent. Lorsque Charles II était revenu en 1660 de son exil à la cour de France, il avait voulu – et les grands seigneurs du royaume après lui – imiter ce qu’il avait admiré aux Tuileries. Dans les jardins du palais royal de Hampton Court, par exemple, il avait fait ouvrir trois grandes allées qui rayonnaient à partir d’un vaste demi-cercle planté de tilleuls, reproduisant – sur les conseils et avec l’aide de jardiniers français (peut-être même de Le Nôtre? ) un modèle aux lignes convergeant fortement vers un centre, symbole d’une conception autoritaire du pouvoir.
Il suffit par ailleurs de feuilleter le recueil de planches dessinées par Knyff et gravées par Kip, intitulé Britannia Illustrata , publié à Londres en 1707, représentant les demeures seigneuriales les plus importantes du moment et leurs parcs, pour se convaincre du rôle prépondérant du style français: allées droites, pattes d’oie et ronds-points, motifs symétriques répétés à intervalles réguliers, «parterres de broderie» caractéristiques, bosquets disposés formellement selon des figures convenues – tout y exprime l’assujettissement de la nature et le triomphe de l’ordre et de la raison.
Puis était venue, avec Guillaume d’Orange, la mode hollandaise: un goût prononcé pour les arbres à feuilles persistantes, taillés en forme de figures géométriques ou à l’image de l’homme. «La dolente famille des ifs entra chez nous avec la maison d’Orange, note un observateur de l’époque. Les bons whigs affirmèrent leur loyalisme en important de ce même pays qui avait eu l’honneur de produire leurs souverains les plans de leurs jardins.» Si bien qu’en 1712 l’essayiste Addison pouvait écrire dans le no 414 du Spectator : «Nos jardiniers anglais, au lieu de suivre la nature, aiment à s’en écarter le plus possible. Nos arbres se dressent en forme de cônes, de globes et de pyramides. On voit la marque des ciseaux sur toutes nos plantes et nos buissons.» Excès manifestes, dont Alexandre Pope témoigne à sa manière (The Guardian , 1713), bien entendu ironique, en dressant l’inventaire de «soldes» imaginaires à l’étal d’un pépiniériste: «Un Adam et une بve en if. Adam un peu abîmé par la chute de l’arbre de la Connaissance lors de la grande tourmente. بve et le serpent, florissants. Une tour de Babel, inachevée. Un saint Georges en buis, son bras encore trop court, mais sera en mesure de transpercer le dragon au printemps prochain. Etc.»
Il est du reste possible, aujourd’hui encore, d’admirer – ou simplement d’étudier – les formes bizarres que prit cet engouement nouveau, dans le jardin de Levens Hall (Westmoreland), ou dans celui de Compton Wynyates (Warwickshire). On peut conclure de ce qui précède qu’au début du XVIIIe siècle les parcs et jardins étaient largement dépendants du goût continental en matière de formalisme et de rigueur géométrique. Leur évolution vers ce qui, en retour, deviendra plus tard un modèle pour l’Europe fut progressive, mais d’autant plus affirmée qu’elle s’inscrivit dans le mouvement d’une réaction contre la démesure et le mauvais goût – et dans le contexte d’institutions politiques nouvelles.
S’il faut en croire Horace Walpole, amateur averti et auteur d’un essai sur l’art du jardin, les premiers agents du changement furent les «architectes-jardiniers» Charles Bridgeman et William Kent: le premier parce qu’il bannit des jardins la sculpture sur arbres et la symétrie absolue qui gouvernait l’espace; le second, surtout, parce qu’il inventa, ou du moins fut, semble-t-il, le premier à utiliser le haha! Les clôtures des jardins anciens, les murs ou haies vives qui séparaient les propriétés les unes des autres, réduisaient l’espace, interdisaient les vastes perspectives, enfermaient les propriétaires dans leurs terres. Les fossés que leur substitua Kent présentaient l’avantage pratique de tenir le bétail à distance – et celui, essentiel, d’ouvrir le paysage sur l’horizon. Le promeneur, parvenu à la limite extrême de la propriété, mais dont le regard allait bien au-delà, ne pouvait, semble-t-il, s’empêcher d’émettre une exclamation de surprise incrédule – et Ha! Ha! fut dans toutes les bouches. Kent, conclut Walpole, sauta l’obstacle des clôtures et comprit que la nature tout entière était jardin.
Cette identification de l’art et de la nature va très au-delà de ses implications immédiates: elle entraîne sans doute une plus grande liberté et un rejet des conventions, mais aussi la recherche de correspondances entre tous les arts qui se fondent sur la représentation: c’est ainsi que la poésie et surtout la peinture vinrent bientôt apporter à l’art du jardin le support de l’image . On voulut dessiner des jardins qui fussent l’illustration matérielle des vers de Milton ou de Thomson, on prétendit reproduire sur le terrain les scènes enchanteresses de Claude Gelée ou celles – sombres et sauvages – de Salvator Rosa: c’est-à-dire des deux peintres les plus admirés des Anglais lors de leur grand tour sur le continent. Dès lors s’édifièrent des temples, se creusèrent des lacs et se construisirent des ponts qui voulaient rappeler ceux baignant dans l’incomparable lumière du Lorrain; ou se dessinèrent des «déserts», se disposèrent des rocailles, se plantèrent même des arbres morts pour évoquer les rudes paysages avec ruines et bandits du Napolitain.
Les travaux de Kent à Chiswick, près de Londres – la demeure palladienne du comte de Burlington –, commencés en 1729, n’illustrent que timidement cette évolution du goût; mais à Rousham, près d’Oxford, on peut encore aujourd’hui mesurer les progrès accomplis: les classiques terrasses se transformèrent en vastes pelouses verdoyantes, et des bosquets d’arbres irrégulièrement disposés, des cascades, des étangs, des statues, une grotte, un vieux moulin, une fausse ruine gothique y sollicitaient, dans une heureuse diversité, le regard. Kent fut aussi parmi les premiers à remplacer les allées droites du jardin à la française et ses canaux rectilignes par des chemins sinueux et des cours d’eau qui dessinaient des méandres. Avant Hogarth, qui, en 1753, dans son livre théorique sur les composantes du Beau, The Analysis of Beauty , décrivait la ligne ondoyante comme étant «la ligne de beauté», Kent sut persuader ses contemporains de la supériorité en matière d’art de la «ligne serpentine». Il est vrai qu’il avait eu un précurseur au moins théorique en Batty Langley, dont le livre, New Principles of Gardening , publié en 1728, s’ornait de planches où les allées, à l’intérieur de parterres au demeurant parfaitement symétriques, se contorsionnaient d’impossible manière. Mais il s’agissait là de curiosités abstraites, que personne, semble-t-il, ne songea à concrétiser. Plus probant est l’exemple du petit jardin que Pope aménagea en 1720 autour de sa demeure de Twickenham, et qui comportait déjà, outre un obélisque, une grotte célèbre, quelques bustes et une serre, une allée qui sinuait quelque peu entre les bosquets. Si exemplaire qu’ait pu être cette matérielle contribution du poète à un art dont il s’était fait surtout le théoricien, elle reste trop modeste par ses dimensions pour qu’il soit légitime d’y voir autre chose que la réalisation d’un rêve d’amateur averti. En fait, c’est bien à Kent que revint le mérite d’avoir, sur une échelle professionnelle, déroulé ses sentiers et laissé courir les ruisseaux, sans les assujettir au modèle rectilinéaire. Car l’adoption de la ligne serpentine, au même titre que l’abandon de l’art topiaire et des figures géométriques, illustre cette remarquable levée des contraintes qui caractérise très spécifiquement le jardin anglais dès la première moitié du siècle: une émancipation qu’il convient impérieusement de mettre en relation avec ces institutions nouvelles dont venait de se doter le pays et qui mettaient l’accent, très fortement, et avant toute autre nation d’Europe, sur le concept de liberté .
Vers le milieu du siècle, le jardin le plus admiré et le plus visité était sans conteste possible celui de Stowe, près de Buckingham: propriété de lord Cobham, qui n’avait cessé de l’aménager selon le goût des temps, il porte la trace des plus grands jardiniers: Bridgeman avait été le premier à le libérer du formalisme d’autrefois; sir John Vanbrugh, l’architecte du palais de Blenheim, y avait érigé une rotonde et une pyramide; Kent y avait dessiné des plans d’eau de forme irrégulière et y avait ajouté plusieurs temples de facture classique. Le livre de Robert Castell, Villas of the Ancient Illustrated , paru en 1728, n’est sans doute pas étranger à la réhabilitation du style palladien – paradoxale en apparence seulement à une époque qui était en train de s’enticher de l’art médiéval – car il y avait aussi à Stowe – et il y a toujours – un «temple gothique» conçu par Gibbs, le même architecte qui dessina sans doute (dans un éclectisme caractéristique des temps) les plans du «pont palladien», l’un des plus beaux qu’il soit possible aujourd’hui encore d’admirer.
Pourtant, les aménagements définitifs de Stowe, c’est à «Capability Brown» (1715-1783) qu’on les doit: ainsi surnommé, car on le disait habile à déceler les possibilités (capabilities ) d’un terrain, mais aussi pour rendre hommage à sa compétence. Son style est aisément reconnaissable – à Stowe, comme dans les dizaines d’autres parcs dont il eut à s’occuper: des bosquets circulaires, une allée plantée d’arbres qui faisait le tour de la propriété, des cours d’eau sinueux, et des pelouses toutes nues, dont les ondulations caractéristiques venaient mourir au pied même de la demeure. Un style qui est sans doute la résultante de toutes les initiatives antérieures, mais qui doit beaucoup aussi à la réflexion esthétique de l’époque. Car le jardin anglais a ceci de particulier qu’il est autant le produit d’une spéculation abstraite que d’une culture artistique ou d’un travail précis sur le terrain. Implicitement, les parcs traités par Brown sont aussi une illustration des thèses de Edmund Burke sur le Beau et le Sublime – et de William Gilpin sur le Pittoresque. Il est évident que pour Brown l’art du jardin est une façon de sublimer le paysage, de le transposer, de le transcrire de telle sorte qu’on y puisse lire le message du poète ou du peintre. Son succès s’explique sans doute par la qualité de sa vision, mais aussi par l’aptitude dont il fit preuve à capter l’esprit du temps. Un peu partout dans le royaume, à Warwick, à Longleat, à Chatsworth, à Blenheim, à Wimpole Hall, à Audley End, il planta ses célèbres bosquets, fit onduler les pelouses, serpenter les cours d’eau. Il est difficile, aujourd’hui, de visiter un jardin qui n’ait été, à un moment ou à un autre, plus ou moins amélioré par Brown. On dit qu’on lui confia plus de cent parcs à façonner et qu’il refusa de se charger d’un chantier en Irlande sous le prétexte qu’il n’avait pas encore «fini l’Angleterre»...
Un jardin, pourtant, semble lui avoir échappé: celui de Stourhead, dans le Wiltshire, l’autre merveille de la nature et de l’art dont la visite s’impose. Propriété de la famille Hoare, il est de dimensions moins vastes que Stowe, mais conçu dans le même esprit: un parcours obligé conduit le promeneur vers un pont qui, pour n’être pas palladien, n’en constitue pas moins un élément essentiel du paysage. Puis il lui faut contourner un lac pour atteindre le «cottage gothique» et de là diriger ses pas vers la grotte, le temple d’Apollon, la cascade et bien d’autres follies ou «objets pour la vue» qui ont étonnamment bien supporté l’épreuve du temps.
Le siècle ne fut toutefois pas tout entier placé sous le signe d’aussi grandioses réalisations: il y en eut de plus modestes, qui pourtant témoignent pleinement, elles aussi, du goût de l’époque. La «ferme ornée» de Philip Southcote (Woburn Farm) et surtout la petite propriété de William Shenstone aux Leasowes furent des lieux privilégiés, où tous les motifs des grands parcs se retrouvent mais à échelle réduite. Nombreux furent les visiteurs de marque (Burke, Adam Smith, William Pitt, Horace Walpole...) qui s’estimèrent honorés de rendre visite au poète, pour admirer un jardin aux dimensions fort modestes, mais où tout faisait scène: les méandres d’un cours d’eau au fond d’une vallée, un sentier serpentant parmi les arbres aux essences diverses et jalonné de bancs où il était plaisant de méditer sur des thèmes suggérés par des inscriptions latines, tout en admirant les «objets pour la vue» que représentaient un temple de Pan et un «prieuré gothique» en ruine... Samuel Johnson, le célèbre augure, ne se trompa pas, qui vit dans les Leasowes le poème le plus achevé de Shenstone.
Comme beaucoup d’amateurs passionnés, ce dernier voulut confier à la postérité ses réflexions sur l’art du jardin: l’édition de 1764 de ses œuvres complètes comporte un essai intitulé Unconnected Thoughts on Gardening . La génération précédente s’était surtout exprimée sous forme d’articles dans les périodiques du temps: Addison dans le Spectator , Pope dans le Guardian . La seconde moitié du siècle fut marquée par des publications plus conséquentes: Thomas Whately dans ses Observations on Modern Gardening (1770), William Mason dans son long poème descriptif The English Garden (1772-1781), Horace Walpole dans The History of the Modern Taste in Gardening (1771-1780), Joseph Heely dans ses Letters on the Beauties of Hagley, Envil and the Leasowes (1777) disent tous avec des talents divers, mais la même passion, ce qu’ils pensent des parcs visités et donnent leur propre conception d’un jardin idéal. William Chambers, architecte influent qui avait séjourné en Chine, publia en 1772 A Dissertation on Oriental Gardening , où il condamnait Brown pour le caractère un peu fade de ses paysages et préconisait le recours à des formules plus énergiques, pouvant aller jusqu’à l’utilisation d’accessoires macabres ou terrifiants. Mais son nom, bien sûr, reste surtout attaché aux chinoiseries dont il a laissé à Kew la trace, sous la forme d’une pagode qu’on peut aujourd’hui encore admirer. Si le succès du livre de Chambers fut en partie compromis en Angleterre par la célèbre riposte de William Mason An Heroic Epistle to Sir William Chambers (1773), où le goût pour l’Orient est tourné en dérision, il n’en alla pas de même en France, où le «jardin anglais» devint bientôt, avec Georges Louis Le Rouge, le «jardin anglo-chinois».
Les dernières années du siècle furent marquées par une controverse relativement stérile entre Humphrey Repton (1752-1818) d’une part, qui avait pris la relève sur le terrain, et d’autre part Richard Payne Knight (1750-1824), auteur du poème The Landscape (1794), et son ami Uvedale Price, qui publia la même année son Essay on the Picturesque . Si Repton était enclin à réorienter l’art du jardin vers certaines formes décoratives du passé, voire certains aspects utilitaires bannis par son prédécesseur, Payne Knight et Price poussaient au contraire à l’extrême les thèses de Gilpin et militaient en faveur d’un pittoresque intransigeant. L’époque victorienne montre bien que c’est Repton qu’elle a suivi, plutôt que les manipulateurs d’abstractions. Le jardin anglais, qui a fait la gloire du XVIIIe siècle anglais, est mort des excès d’une spéculation aride sur sa vraie nature. Il n’aurait de toute manière pu survivre aux bouleversements d’ordre économique et politique qui accompagnèrent la révolution industrielle. Très étroitement associé à la grande noblesse et au pouvoir whig, l’art du jardin – tel que l’avaient pratiqué les Burlington, les Bathurst et les Cobham – n’aurait pu s’accommoder de l’avènement de la classe moyenne et du phénomène d’urbanisation intensive qui caractérisent l’époque victorienne. Stowe et Stourhead, comme Reynolds et Gainsborough, sont les glorieux vestiges d’une époque tristement révolue.
8. L’Extrême-Orient
L’une des sources où puisa le jardin anglais, dès la fin du XVIIe siècle, fut le jardin chinois, dont l’art s’était développé, depuis des temps très anciens, selon des traditions soigneusement maintenues, et influencées par la religion et la philosophie. Le jardin chinois est essentiellement un lieu de contemplation, d’immobilité et de silence. Il constitue un abrégé du monde, proposé à l’esprit. Sans doute, l’artiste préfère disposer de vues amples, de compositions ménagées selon de larges perspectives, avec, au fond, la mer, ou une barrières de montagnes dentelées; mais un seul tertre, de dimensions médiocres, voire une simple pierre, l’ombre d’un rameau qui se balance, sont autant d’objets propres à la méditation.
Le jardin est en général lié à une habitation humaine: simple cabane ou pavillon que borde une balustrade aux entrelacs symboliques. Il offre aussi un lieu de promenade, mais pour cette raison, ses allées – ou son allée unique – seront sinueuses, l’important n’étant pas d’aller d’un point à un autre, mais de renouveler les points de contemplation, d’épuiser l’inépuisable. Le jardin chinois est l’exact contraire du jardin français, qui se propose d’être intelligible; il veut être uniquement «sensible», pure juxtaposition de formes, de sensations dont chacune est unique, comme un poème. On aimera les pierres bizarrement travaillées par la nature, celles qui ont séjourné longuement dans des lacs, où elles ont pris l’apparence de bêtes mythiques, de génies ou de végétaux. Ainsi se crée et se retrouve le monde fuyant des formes. Le jardin est la matrice de la création, il renferme tous les éléments du monde: la pierre et l’eau, les plantes, les oiseaux, les bêtes, tout ce avec quoi l’âme du sage doit entrer en communion et qui symbolise, selon des correspondances secrètes, chaque aspect, chaque moment de l’âme.
Le Jardin japonais est issu du jardin chinois, mais il s’est développé avec un tel bonheur qu’il est une province autonome de l’art. Là, le symbolisme s’est codifié, et il existe des plans quasi immuables des jardins japonais, des plus grands aux plus humbles, qui tiennent dans un simple vase. On y trouve des montagnes (buttes artificielles ou simples cailloux), un lac, au moins une île, une cascade et une plage.
Les jardins étaient autrefois liés à des demeures seigneuriales. Les plus beaux d’entre eux sont devenus des parcs publics, comme Versailles, le parc Monceau ou le parc de Bagatelle, autour du Paris de naguère. On ne crée plus guère de tels ensembles. Mais le goût des jardins survit dans le monde moderne. Une curieuse tendance remet à la mode les formes architecturales des jardins de la Méditerranée, dont l’attrait se fait sentir irrésistiblement sur les esprits occidentaux. Le goût pour l’acclimatation des plantes exotiques, très fort au XIXe siècle, où s’étaient développés les serres et les jardins d’hiver, paraît avoir quelque peu diminué, sans doute parce que les hommes vont plus aisément vers des pays lointains. Dans les villes artificiellement créées, on appelle jardins les espaces vides obligatoirement laissés pour que pénètre un peu de lumière; mais le XXe siècle n’a pas encore su définir un art des jardins qui lui soit propre.

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